L’article en bref
L’histoire des bars gays parisiens révèle leur rôle crucial dans l’émancipation et la visibilité de la communauté LGBTQ+.
- Les premiers établissements comme le Maurice’s Bar (1906) ont émergé malgré une forte répression sociale.
- Chaque quartier a marqué une époque distinctive : de Pigalle à Saint-Germain-des-Prés, puis de la rue Sainte-Anne au Marais.
- L’ouverture du Village en 1978 a révolutionné la scène gay avec un concept d’accessibilité inédit.
- Ces lieux ont servi de refuges mais aussi de plateformes militantes contre la discrimination.
Le sujet du moment : les bars gays de Paris ! Quelle fascinante histoire que celle de ces établissements qui ont façonné le paysage LGBTQ+ de notre capitale. Avec mon expérience de passionné des nuits parisiennes, j’ai souvent parcouru ces lieux emblématiques, témoins silencieux d’une lutte pour l’existence et la visibilité. Je me souviens encore de ma première visite au Duplex dans les années 90, impressionné par cette atmosphère à la fois conviviale et militante. Plongeons ensemble dans cette chronologie captivante des premiers espaces de liberté homosexuelle parisiens.
Les pionniers des établissements gays parisiens (1900-1940)
L’histoire des premiers bars gays à Paris commence véritablement au début du 20ème siècle, bien que l’homosexualité ait été dépénalisée dès 1791 en France – une première européenne. D’un autre côté, malgré cette avancée légale, la répression sociale et policière demeurait omniprésente.
Le Maurice’s Bar, ouvert en 1906 par Moïse « Maurice » Zekri au 23 rue Duperré à Pigalle, marque un tournant décisif. Il s’agit de l’un des tout premiers établissements ouvertement gay de la capitale. Le destin tragique de son propriétaire illustre les persécutions subies par la communauté : livré aux nazis en 1941, Zekri fut assassiné à Auschwitz en 1942.
À la même époque, Le Palmyre accueillait principalement une clientèle lesbienne dans le quartier de Pigalle. Ces établissements pionniers ont émergé malgré un contexte où l’homosexualité restait criminalisée socialement. N’oublions pas que Jean Diot et Bruno Lenoir furent les derniers à être exécutés pour homosexualité en France le 6 juillet 1750.
La Petite Chaumière : premier cabaret de travestis
De 1921 à 1939, La Petite Chaumière, nichée au 2 rue Berthe près du funiculaire de Montmartre, s’est imposée comme le premier cabaret de travestis parisien. J’y ai rencontré un vieux serveur qui m’a raconté comment la clientèle huppée s’y pressait pour admirer des spectacles d’hommes habillés en femmes célèbres. Ce lieu audacieux pour l’époque représentait une enclave de liberté dans une société profondément conservatrice.
Le Magic City : bals et festivités
Jusqu’à sa fermeture en 1934, Le Magic City au 180 rue de l’Université offrait un espace de célébration unique. Cet ancien parc d’attractions reconverti en dancing après la Première Guerre mondiale était réputé pour ses bals du Mardi-Gras et de la Mi-Carême. Ces événements attiraient tous les « invertis » de Paris avec leurs déguisements extravagants, créant ainsi des moments fugaces de liberté dans une époque répressive.
L’évolution des quartiers gays parisiens au fil du temps
La géographie homosexuelle parisienne a connu d’importants déplacements au cours de l’histoire. Des Tuileries aux Champs-Élysées, de Montmartre-Pigalle à Montparnasse, de Saint-Germain-des-Prés à la rue Sainte-Anne près de l’Opéra Garnier, puis des Halles au Marais, la communauté gay a continuellement redéfini ses espaces de socialisation.
Dans les années 1950, Le Fiacre au 4 rue du Cherche-Midi à Saint-Germain-des-Prés illustrait parfaitement cette stratégie d’adaptation. Son propriétaire, Louis Baruc, avait ingénieusement conçu un restaurant chic au premier étage attirant des célébrités, tandis que le rez-de-chaussée abritait un bar gay. Cette clientèle prestigieuse servait de bouclier contre les fermetures administratives.
Les bars gays historiques en France ont souvent dû user de ces subterfuges pour survivre. Jusqu’à la fin des années 1960, un arrêté préfectoral interdisait même aux hommes de danser ensemble en public !
La révolution de la rue Sainte-Anne (1960-1970)
Les années 1960-70 voient l’émergence du quartier Saint-Anne comme épicentre de la vie nocturne homosexuelle. Fabrice Emaer, figure incontournable de cette époque, ouvre Le Pimm’s en 1964 au 3 rue Saint-Anne puis Le Sept en 1968 au numéro 7 de la même rue. Ce dernier, associant un restaurant élitiste fréquenté par des personnalités comme Yves Saint Laurent ou Karl Lagerfeld à un club où se côtoyaient célébrités et anonymes, a profondément marqué la nuit gay parisienne.
Cette période voit également naître des établissements plus audacieux comme Le Manhattan, bar avec « backroom » situé au 8 rue des Anglais. En mai 1977, une descente de police y marque un tournant historique : pour la première fois, les personnes arrêtées refusent de s’excuser et transforment leur procès en tribune contre la répression homophobe.
La naissance du Marais gay (1978-1990)
Le véritable bouleversement survient en 1978 avec l’ouverture du Village par Joël Leroux rue du Plâtre, premier bar gay du Marais. Contrairement aux établissements élitistes et fermés de la rue Saint-Anne, Le Village se démarque grâce à son accessibilité et son ouverture sur la rue – sans judas ni filtrage à l’entrée. Son succès fulgurant déclenche une vague d’ouvertures dans le quartier, traçant la voie aux lieux cultes des bars gays historiques en France.
Période | Bar emblématique | Quartier |
---|---|---|
1906-1909 | Maurice’s Bar | Pigalle |
1921-1939 | La Petite Chaumière | Montmartre |
1950s | Le Fiacre | Saint-Germain-des-Prés |
1968-1980 | Le Sept | Rue Sainte-Anne |
1978 | Le Village | Le Marais |
L’héritage des bars emblématiques des années 1980-2000
Les années 1980-2000 voient l’émergence de clubs devenus légendaires dans la nuit parisienne. Le Palace, ouvert par Fabrice Emaer en 1978 au 8 rue du Faubourg-Montmartre, bien que non situé dans le Marais, métamorphose la scène nocturne. Dans cet ancien théâtre pouvant accueillir plus de 2000 personnes, toutes les classes sociales et orientations sexuelles se mélangent au son des platines de Guy Cuevas.
Le Marais continue de s’affirmer comme quartier gay avec des établissements comme Le Central, ouvert en 1980 par Maurice McGrath, ancien marin britannique, qui a fonctionné pendant 30 ans rue Vieille du Temple. Le Duplex, inauguré la même année au 25 rue Michel Lecomte, reste l’un des derniers établissements pionniers encore en activité. C’est d’ailleurs au 3ème étage de ce bâtiment qu’est née l’association AIDES en 1984, en pleine épidémie de SIDA.
Les années 1990-2000 sont marquées par des lieux comme :
- Le Boy (1988-1991) : club précurseur de la culture rave parisienne
- Le Queen (1992-2018) : emblématique club des Champs-Élysées
- Le Pulp (1997-2007) : club lesbien qui a transcendé sa clientèle d’origine
Ces établissements ont transformé la nuit parisienne tout en contribuant à la normalisation de l’homosexualité dans l’espace public, jusqu’à l’abrogation en 1982 des dispositions discriminatoires héritées du régime de Vichy.
En parcourant cette chronologie fascinante, tu comprends mieux pourquoi ces bars représentent bien plus que de simples lieux de fête. Ils sont les témoins d’une lutte pour l’existence et la dignité, des espaces qui ont permis à toute une communauté de se retrouver, de s’affirmer et finalement de conquérir sa place légitime dans la société française.